Chers lecteurs,

Bienvenue sur le blog de MUUDANA! Celui-ci a pour objectif de vous aider à mieux comprendre vos vêtements, la mode, et le monde en général. Et pour cela j’aime bien prendre mon propre exemple: celui de MUUDANA.

Dans cet article, je vais vous expliquer les difficultés que je rencontre pour me fournir en tissus traditionnels.

Le principe de MUUDANA

Retour aux sources : le principe de MUUDANA est d’associer savoir-faire traditionnel et design contemporain. Chaque collection a pour thème un pays et met en valeur le patrimoine textile et culturel de ce pays.

Pour la partie « tissus traditionnels » je recherche localement des ONG, des social business ou des groupements d’artisans qui vont répondre aux critères suivants :

  • Qualité des tissus
  • Organisation sociale équitable
  • Respect de l’environnement
  • Préservation des savoir-faire traditionnels
  • Capacité à produire les quantités demandées à un prix soutenable

Une fois que j’ai trouvé des partenaires qui correspondent à ces critères, que j’ai finalisé le plan de collection et les prototypes, je passe commande. Comme je travaille avec des artisans qui tissent manuellement, il faut passer commande bien à l’avance. En effet, il faut parfois 2 à 3 mois  pour tisser 50 mètres de tissu… C’est pour cela que le crowdfunding m’est particulièrement utile. Car entre le moment où je passe commande des tissus (et verse un acompte) et le moment ou les vêtements sont finis, il s’écoule facilement 6 mois !

Maintenant que cette mise au point théorique est faite, voyons ce que cela donne dans la réalité.

Collection LAOS: villages laotiens
Enfants d’un village Laotien

Première collection : presque pas de problèmes !

Pour la première collection de MUUDANA le pays phare est le Cambodge.

Pour développer cette collection j’étais sur place, ce qui a été particulièrement pratique pour renforcer les liens avec mes partenaires et suivre la production. Je pouvais ainsi m’assurer que les commandes avançaient et faire la liaison entre les artisans tisserands et les ateliers de confection. Au moindre souci, j’étais là pour venir discuter avec le/la gérant(e). D’ailleurs j’ai trouvé sur place des partenaires de grande qualité, qui font un travail incroyable, tant en tissage qu’en confection, et avec lesquels j’espère continuer de travailler longtemps.

Ceci dit il y a quand même eu pas mal d’imprévus. Par exemple, le bel « ikat » de soie, tissu signature de cette collection, a été finalisé avec 4 mois de retard ! Heureusement, j’ai pu assurer une production dans les temps grâce à une livraison quasiment mètre par mètre au fur et à mesure de la confection du tissu.

Et pour les teintures à la main, du fait de leur réalisation artisanale, impossible d’avoir systématiquement la même couleur ! Ainsi certains modèles ont une couleur un peu plus foncée, d’autres un peu plus claire. Heureusement, j’ai la chance d’avoir des consommateurs ultra compréhensifs qui ont reconnu dans ces variations de teinte la marque d’un produit unique et fait-main!

Deuxième collection : les choses se compliquent

Pour cette deuxième collection, j’ai choisi comme terre d’élection le Laos. Un pays proche du Cambodge ainsi je peux m’y rendre facilement. Et surtout, un pays disposant d’un patrimoine textile et culturel impressionnant grâce à ses dizaines d’ethnies.

Collection LAOS - Recherche artisans
A la recherche des meilleurs artisans du Laos!

Pour développer cette deuxième collection je me suis rendue deux fois au Laos. J’y ai à nouveau rencontré des organisations passionnantes qui se battent au jour le jour pour préserver les savoir-faire traditionnels et offrir des débouchés commerciaux aux artisans isolés du Laos. Des organisations qui remplissent aisément tous les critères sociaux et environnementaux et en plus sont dirigées par des personnes très sympathiques. Bref, la production de la collection Laos s’annonçait bien.

C’était sans compter les montagnes et les difficultés de communication….

J’ai commencé à expérimenter moi-même ces barrières naturelles.

Lors du premier voyage, alors que nous explorions à moto le nord du Laos, nous nous sommes retrouvés bloqués par la boue et des chemins de montagne impraticables. La nuit allait tomber bientôt et il fallait rebrousser chemin sans savoir où dormir. C’est toujours dans les difficultés que les meilleures rencontres se produisent. Nous avons fait la connaissance de Somdeth qui nous a hébergés chez ses parents. Une soirée inoubliable dans un petit village isolé !

Lors de mon deuxième voyage au Laos, j’ai emprunté un bus de nuit pour aller de Luang Prabang à Ventiane. Les deux villes ne sont pas tellement éloignées à vol d’oiseau, mais la route entre les deux est un serpentin de montagne. Un trajet en bus nécessite au minimum 12h. Au minimum… Cette fois-là, mon bus et de nombreux autres se sont retrouvés bloqués en pleine montagne par un glissement de terrain. Dans ces régions isolées, pas de dépanneuses ni d’engins de travaux publics à proximité. Il a donc fallu attendre le lendemain matin pour qu’un tractopelle puisse déblayer la route. Bilan du trajet : 24h.

Nouvelle collection - Recherche artisans au Laos
Coincée sur la route! Mais pas toute seule…

Ces anecdotes personnelles ont pour objectif de vous aider à visualiser un pays montagneux, parcouru de routes étroites, fragilisées par un sol meuble et des pluies torrentielles. Un pays où chaque déplacement représente un risque et un coût.

Revenons à nos tissus…

De la difficulté d’associer artisanat et prêt à porter

Au Laos la commande des tissus se passe un peu différemment du Cambodge.

Au Cambodge en général les tisserandes viennent toutes du même village ou alors de plusieurs villages proches et faciles d’accès car le Cambodge est un pays plat ou l’on se déplace assez facilement. Selon les motifs, des femmes plus ou moins expérimentés de chaque village se mettent à l’œuvre.

A l’inverse, le Laos est composé de dizaines d’ethnies qui chacune possèdent leur spécialité textile. Ainsi vous ne pourrez jamais demander à un Hmong de fabriquer un tissu Tai Dam. Et inversement.

Collection LAOS - Coton bio
Tisserande d’un village Laotien – Filage du coton

Encore plus compliqué : non seulement chaque ethnie a sa spécialité textile, mais en plus chaque village est spécialisé dans un type de motif ou teinture ! Ainsi, si je veux tel motif, ce sera dans tel village, mais si je veux un autre motif, ce sera dans tel autre village probablement à des heures de route.

Les ONG locales avec lesquelles je travaille sont celles qui connaissent ces spécificités, et savent selon le tissu que je souhaite commander quel village contacter. Ce sont des maillons incontournables. Avec de telles distances et difficultés de communication terrestre, il vaut mieux avoir déjà une bonne connaissance du terrain.

Une fois finalisé le casse-tête du choix du motif selon le modèle, son placement et sa complexité de réalisation, j’ai pu passer commande auprès de ces partenaires.

J’ai alors commencé à comprendre que certains tissus sont vraiment difficiles à sourcer car ils exigent beaucoup de temps de réalisation. C’est le cas en particulier du magnifique Batik Hmong utilisé pour la combinaison, le pantalon carotte, la chemise homme…

De la récolte du chanvre à la réalisation des motifs à la cire, ce tissu demande énormément de travail. De plus il est tellement beau qu’il est très demandé. Les tissus Hmong sont donc rares et il n’est pas évident de trouver une organisation qui dispose de plus que quelques mètres à vendre.

Un autre facteur qui limite la disponibilité des tissus est l’organisation du travail. Un(e) tisserand(e) n’est jamais uniquement tisserand. Le tissage est toujours une activité complémentaire. Ainsi dans les villages du Laos, l’activité familiale va se répartir entre l’élevage, l’agriculture, le commerce et le tissage.  Le tissage est à la fois un art, une activité identitaire et une source de revenus complémentaires. Cela signifie aussi que, en cas de besoin intensif de main d’œuvre (comme par exemple une récolte de riz) les activités de tissage passent à la trappe. C’est aussi le cas en période de fêtes religieuses, de mariage, d’inondation, etc.

Enfin s’il pleut trop, les activités textiles sont encore perturbées car les teintures ne sèchent pas bien. Il est donc clairement préférable de teindre les fils en saison sèche, sinon la couleur risque de ne pas être uniforme.

De la même manière, comme il s’agit de couleurs naturelles, il y a des saisons et des régions pour certaines couleurs. Ainsi on m’a rapidement fait comprendre que je pouvais oublier mes envies de carmin, car cette magnifique couleur est réalisée naturellement à partir d’insectes et de plantes disponibles uniquement en janvier dans une certaine région, et que je risquais complications et retards à travailler avec cette couleur ! (Je garde donc le rouge pour une prochaine collection et un autre pays…. Suspens!…)

Collection LAOS - Teintures naturelles
Fils de coton teints à l’indigo en pleine opération de séchage au soleil

Ou comment la production de la collection a pris du retard…

J’ai passé commande de mes tissus fin septembre pour une livraison début janvier. 3 mois de production paraissaient un délai raisonnable pour mes partenaires et moi.

Début janvier, je recontacte mes partenaires pour organiser la livraison. Et là, catastrophe ! Seulement 1 partenaire sur 3 est capable de me livrer à temps les tissus commandés !

En effet, la récolte du riz est passée par là… Tous les villages ont été occupés dans les champs. « Même les grands-mères n’avaient pas le temps de tisser car elles devaient cuisiner pour les travailleurs» (Dixit un de mes partenaires). Ajoutons à cela quelques défaillances locales dues à la distance, seulement une partie de mon tissu est disponible !

Heureusement il y a quand même de quoi commencer la production de certains produits de la collection. Mais l’un des tissus phares de la collection, le batik Hmong, est totalement indisponible! Mon partenaire a même déclaré forfait !

Échantillon de tissu Hmong : teinture batik et couleur indigo sur chanvre tissé à la main

Je ne m’avoue pas vaincue. Je décide de me rendre en urgence au Laos pour trouver ce fameux tissu Hmong. Je commence à contacter quelques autres organismes de tisserands repérés auparavant et commence à recevoir, avec soulagement, quelques réponses positives.

C’est décidé, je me rendrai dans 3 jours à Luang Prabang ! J’y ferai mon possible pour trouver suffisamment de tissus Hmong pour assurer la production de la collection.

J’en profiterai aussi pour parfaire ma connaissance des techniques locales de teinture et tissage. Et bien sûr pour vous ramener plein d’autres histoires et photos comme celles de cet article !

Et vous, dites-moi ? Avez-vous aimé cet article ? Voulez-vous continuer à lire mes histoire et anecdotes du terrain ?

Si vous êtes un créateur, quelles difficultés rencontrez-vous dans votre approvisionnement ?

6 Commentaires sur “Anecdotes et péripéties de la Collection Laos

  1. Havard says:

    Pasionnant merci de nous faire partager ces expériences. C’est un bien meilleur feuilleton que ceux proposés par la TV. J’en redemande mais que l’héroïne fasse attention à elle. Bises Sylvie Havard

    • Aude says:

      Merci Sylvie pour ce message. C’est noté 🙂 Je vais continuer le feuilleton et publiant régulièrement des épisodes. J’espère que mes lecteurs accrocheront autant qu’une saison de “Game of Thrones” 🙂 Et promis je fais attention à ne pas prendre trop de risques 😉

      • REVEILLERE Monique says:

        J’ai beaucoup aimé ce petit reportage riches d’anecdotes !! Merci pour votre travail Aude !! A bientôt pour d’autres nouvelles…

        • Aude says:

          Merci Monique pour votre commentaire et vos encouragements! Cela fait très plaisir de savoir que amis articles sont lus et appréciés.

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